jeudi 30 mars 2017

Emmanuel Macron adoubé par Jürgen Habermas à Berlin


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Emmanuel Macron adoubé par Jürgen Habermas à Berlin

Emmanuel Macron a rencontré le philosophe Jürgen Habermas à Berlin, le 16 mars 2017. Entre l’homme politique et le penseur de l’espace public, le dialogue s’est noué autour des enjeux européens.
Emmanuel Macron se pique de philosophie, on le sait. Lui qui revendique d’avoir été l’assistant de Paul Ricœur peut aujourd’hui se féliciter du soutien du philosophe allemand Jürgen Habermas. Lors d’un débat sur l’Europe organisé le 16 mars à Berlin à l’initiative de la Hertie School of Governance, le théoricien de la démocratie et penseur de l’éthique de la discussion a dit tout le bien qu’il pensait de celui qui franchirait « la sacro-sainte ligne rouge héritée de 1789 ».

Contre le « quiétisme »

Le philosophe a pris la parole le premier pour témoigner de sa curiosité : comment le spectre politique français se reconstituera-t-il si Emmanuel Macron venait à remporter l’élection ? Une chose est sûre, « Emmanuel Macron incarne l’antithèse même du quiétisme de ceux qui sont habilités à agir », ayant le mérite de poser des problèmes qui ne peuvent être résolus qu’à l’échelle européenne. Pour le philosophe, auteur de La Constitution de l'Europe (Gallimard, 2012), dans une conjoncture de blocage général, seules les coopérations au sein de la zone euro permettent un nouvelle marge de manœuvre. Il a développé sa vision de l’Europe. Elle repose sur deux piliers : la solidarité et l’unification.
L’idéal de solidarité ne relève pas du pur désintéressement. Elle devrait, selon lui, se traduire par des retombées positives pour celui qui la pratique. « Depuis la Révolution française et les premiers mouvements socialistes, précise-t-il, ce concept a acquis une portée politique plutôt que morale. » Autrement dit, « solidarité ne signifie pas charité ».
Ensuite, alors que « l’unification européenne a jusqu’à présent été un projet élitiste », le théoricien de l’espace public déplore que les leaders politiques n’osent pas impliquer les citoyens dans un débat éclairé sur les différents scénarios de futurs alternatifs, les populations n’étant appelées qu’à s’exprimer sur leurs intérêts nationaux.
Or, la reconstruction de l’Europe semble vouée à se faire malgré l’entêtement des élites. Sans même parler du Brexit, l’Europe, menacée à ses portes par des régimes autoritaires en Turquie et en Russie, se trouve aujourd’hui propulsée dans une situation essentiellement défensive, devant faire face à la guerre en Syrie, à la menace terroriste et aux provocations de Donald Trump aux États-Unis. Parce que l’Europe est désormais mise en demeure de défendre son intégrité et ses principes libéraux, Jürgen Habermas plaide en faveur d’une Europe de la défense et d’une coopération renouvelée.
Le philosophe a achevé son intervention en louant une nouvelle fois le candidat français à la présidentielle. Il soutient qu’il est l’homme qui « se démarque du rang des hommes politiques européens » dans la mesure où il a le courage de dire ce que la France peut faire aujourd’hui à l’intérieur de son pays pour faire avancer le débat européen. Pensant au rôle du partenaire allemand, il a conclu en soulignant combien « être le principal bénéficiaire de l’Europe est aussi une malédiction » et quelle responsabilité lui revient.

Une logique de désir

« L’Europe a arrêté de fonctionner comme elle le devrait depuis à mes yeux dix ans », a poursuivi Emmanuel Macron à la tribune. Il a d’emblée appuyé l’idée d’un « immobilisme destructeur » dont il incarnerait l’antithèse. À ses yeux, le problème majeur de l’Europe est qu’« on ne propose plus » et qu’une crise de confiance s’y est durablement installée depuis que les Néerlandais et les Français ont signifié leur refus au Traité constitutionnel de 2005. « On ne parle plus que d’histoires de séparation » alors que l’aventure européenne est par essence « mue par une logique de désir ». Et le fondateur du mouvement En Marche ! d’ajouter : « Si vous êtes un Européen timide, vous êtes déjà un Européen défait, donc je ne recommande pas cette option. »
Partant du principe que « la France n’a pas vécu l’austérité », Macron esquisse un projet pour l’Europe dans lequel le pays prendrait une part déterminante. Par où commencer ? Pour lui, l’essentiel est de réconcilier la logique de la justice sociale et celle de la « responsabilité » ; celle-ci est double, puisqu’elle concerne à la fois les jeunes qui n’ont connu que le chômage de masse et les partenaires européens envers lesquels la France n’a pas engagé les réformes auxquelles elle s’était engagée. Aussi, précise-t-il, « la France doit restaurer sa crédibilité sur le plan économique et budgétaire comme un préalable à [la] discussion », tout en étant capable de déclencher un mouvement plus favorable à l’investissement et, suivant en ceci Jürgen Habermas, à une plus grande solidarité du côté allemand.
Pour l’ancien ministre de l’Économie de François Hollande, il n’existe qu’un moyen de concilier ces deux exigences : la création d’un « tiers de confiance » en Europe, qui se matérialiserait par la mise en place d’une nouvelle institution de croissance et de solidarité. Concrètement, cela signifierait le renforcement de la coopération franco-allemande beaucoup plus structurée sur les questions d’investissement, de sécurité commune aux frontières et de défense au Proche-Orient et en Afrique.

Double adoubement

Adoubement philosophique, mais pas seulement. Car sur l’estrade, un troisième invité était présent : Sigmar Gabriel qu’Emmanuel Macron connaît bien pour avoir été son homologue au ministère de l’Économie, et parce qu’ils représentent tous deux un virage de la gauche en Europe. Pour cette figure de proue du Parti social-démocrate allemand (SPD), changer les choses commence par une modification des « récits » politiques que l’on propose et qui nous forment. L’ancien assistant de Paul Ricœur, qui l’a accompagné dans la rédaction de La Mémoire, l'Histoire, l'Oubli (Seuil, 2000), ne peut qu’acquiescer à cette thèse, tandis qu’au terme d’un long échange les applaudissements éclatent, comme saluant ce double signe de confiance de la gauche allemande : philosophique et politique. Le candidat en tirera-t-il profit en France ? Les futurs élections le diront.